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AUDIARD AVEC CELINE
Tribune Juive
Gérard Kleczewski. Audiard, Céline et
moi…
Il se trouve que parmi les plus grands adorateurs de
Céline, il y avait Michel Audiard dont j’ai longtemps et
confusément ignoré le parcours, me contentant – si l’on
peut dire – d’apprécier les talents fous de dialoguiste,
de scénariste et de réalisateur, même d’écrivain, moins
de chroniqueur de presse ; J’étais trop jeune pour en
saisir toutes les subtilités…
J’avais bien entendu et su que le titi parisien, né et
habitant le 14ème arrondissement,
non loin de l’église d’Alésia, se qualifiait lui-même
d’anarchiste de droite. Je ne savais pas en revanche
qu’au soir de sa vie, il avait confessé n’avoir eu qu’un
seul regret professionnel : ne pas avoir réussi à
adapter à l’écran le “ Voyage au bout de la nuit ”, lui
qui avait adapté avec brio “ Un singe en Hiver ” aux
influences céliniennes évidentes et né sous la plume
d’un autre anarchiste de droite, tendance alcool fort :
Antoine Blondin.
Audiard n’avait pas comme l’Antoine un demi-frère né
d’une relation adultérine avec une jeune femme russe et
possiblement juive. Mais il avait globalement les mêmes
idées que Blondin, qui a collaboré après-guerre avec à
de nombreux journaux d’extrême droite (Rivarol,
Aspects de la France, La Nation française) et a
notamment participé à l’hommage rendu par Défense de
l’Occident à Robert Brasillach… Edifiant.
Audiard l’avait en quelque sorte précédé sous
l’Occupation. C’est très tardivement que j’ai découvert
qu’il avait écrit de nombreux articles dans plusieurs
hebdomadaires collaborationnistes et antisémites. Dans “
L’Appel ” de Pierre Costantini, il publie ainsi des
nouvelles et des critiques littéraires jusqu’en 1944.
Dans l’une de ses premières nouvelles, “ Le Rescapé du
Santa Maria ”, deux personnages juifs réunissent une
bonne partie des stéréotypes les plus courants et le
vocabulaire antisémite est omniprésent. Dans un article
de 1944, Audiard qualifie Joseph Kessel de “ petit
youpin ” puis publie dans “ L’Union française ” un
article dithyrambique sur “ Autopsie des spectacles ” de
Jean-Pierre Liausu, un antisémite notoire. On y lit
(avec dégoût) : “ Le monde qu’il est convenu
d’appeler ‘artistique’ et qui demeure dans sa majorité
le plus coquet ramassis de faisans, juifs (pardonnez le
pléonasme), métèques, margoulins…”
Mais l’histoire, et sans doute le talent du personnage,
ont retenu que lui comme Blondin avaient une passion
commune pour le cyclisme, sur route comme sur piste. Et
là encore j’aurais dû tiquer quand il s’était dit outré
dans un reportage télé sur FR3 Paris Ile-de-France qu’on
détruise le Vélodrome d’Hiver (le Vel d’Hiv’) de la rue
Nélaton, où pourtant quelques années plus tôt des
milliers de Juifs, hommes, femmes, enfants, vieillards,
avaient été séquestrés, maltraités, avant d’être
déplacés à Drancy puis déportés, direction
Auschwitz-Birkenau…
Et puis j’ai lu, j’ai vu et me suis informé… Accédant
grâce à ma carte de presse (pas renouvelée depuis 2014)
aux archives professionnelles de l’INA, l’Institut
National de l’Audiovisuel, je découvris des émissions
qui m’avaient échappé, soit parce que j’étais trop jeune
alors, soit parce que je n’étais carrément pas né.
Ainsi, le 29 mai 1978, écoutons Michel Audiard, dans un
reportage d’Antenne 2, baptisé “ Avec le regard de… ” :
“ L’occupation, dit-il de sa voix nasillarde,
dans une certaine mesure on y était préparés. Parce que
moi, je pars du principe que quand on voit arriver des
soldats étrangers dans son pays, on ne s’attend pas tout
de même à d’excellentes choses… On sait que ça va être
dur. Bon, ben, ça a été dur ! Mais on pouvait s’y
attendre. Par contre, la libération, ça j’avoue, ça a
été la mauvaise surprise. Quand les chars de Leclerc
sont arrivés Porte d’Orléans, y’a eu les embrassades,
y’a eu les bals populaires, ça a bien démarré. Puis,
patatrac, trois jours après, on commençait à tondre les
bonnes femmes, à juger sous des préaux d’école et à
fusiller à tire-larigot. Alors je dois dire que ça a été
la grande déception de ma vie, ça a été la fête ratée
“.
Dans au
moins deux autres archives surgit dans ses jours, ses
nuits et toutes les autres nuits,
l’écrivain Céline…
En mars 1980, on retrouve Audiard parler du “ grand
écrivain ” dans une émission présentée par Eve Ruggieri.
Répondant à une question du regretté Patrick Bourrat, il
dit : “ Vous savez, l’influence Célinienne, je ne la
renierais pas une seconde mais je trouve que la seule
différence avec beaucoup d’autres c’est qu’eux ne
veulent pas l’admettre. Tout écrivain français depuis 40
ans n’aurait pas écrit comme ça s’il n’y avait pas eu "
Voyage au bout de la nuit ", on écrivait
autrement la veille. Or, moi, à la mort de Céline, j’ai
lu des interviews absolument extraordinaires, notamment
celle d’un écrivain considérable certes qui ne voyait
pas de quoi on lui parlait quand on lui parlait de
l’influence de Céline… Tout le monde a été influencé, y
compris la série noire, pourquoi, au nom de quoi, le
cacher ? ”
Une supposition : Au nom de six millions de Juifs
massacrés ? Même si je perçois qu’Audiard doit plutôt
penser “ au nom de l’influence d’un certain lobby
” (cela dit on utilisait peu cette expression en 1980).
Suivez mon regard !
On retrouve cet amour immodéré de Céline, quelques
années plus tôt, en 1969, dans une émission de Michel
Polac, “ D’un Céline l’autre “. Il n’est pas le
seul invité : Audiard, comme Alphonse Boudard ou René
Barjavel, soutiennent l’écrivain de Meudon, dans toutes
ses dimensions. Toutes sans exception !
On y entend Barjavel trouver une justification
surréaliste à l’antisémitisme obsessionnel, radical,
effréné de Céline, celui de “ Bagatelle pour un massacre
” : “ C’est une réaction de médecin ! ” (Sic). Les
médecins de la médecine moderne, explique l’auteur
des " Chemins de Katmandou ", de " La Nuit des Temps "
et du " Voyageur Imprudent ", n’essayent pas de
chercher de causes à la souffrance et à la maladie, ils
sont obsédés par le microbe. Pour Céline, dit
Barjavel, le microbe c’est le Juif et tous ses petits
et grands tracas de l’existence n’ont qu’une causalité
unique : les Juifs “.
Ceux-là
même que Dominique de Roux,
digne héritier d’un grand-père qui fut l’avocat de
Charles Maurras, évoque très calmement, dans la même
émission comme étant symbolique chez Céline “ des "
richards ", des Rothschild, des vendeurs de canons qui
ont causé la guerre pour faire fortune sur le dos des "
pauvres français et des pauvres européens ”.
Le microbe que je suis entend que Céline se serait
autoexcité sur les Juifs par une sorte de simplification
populaire, le peuple n’aimant rien de plus que de
chercher une cible, un bouc-émissaire, à tous ses
tracas, à toutes ses souffrances. Et Barjavel, après
avoir dédouané Céline de toute collaboration active et
même passive avec les allemands, de s’exclamer en
riant : “ Pour lui, de toutes façons, Hitler était
juif ! “
Cette émission, dont je revois en tremblant les échanges
sous l’œil complice d’un Polac fumant sereinement la
pipe, m’écœure. Mais je fais malgré tout une petite
découverte : Céline a écrit un ouvrage sur Semmelweis.
Ignace Philippe Semmelweis, médecin obstétricien juif
hongrois, mort en 1865 à qui il compare son destin,
Semmelweis ayant été opprimé, rejeté, humilié, persécuté
et chassé de Vienne par ses pairs, avant de devenir fou
et de mourir de mauvais traitements. Son crime, nous
explique-t-on : avoir démontré l’utilité du lavage
systématique des mains après la dissection d’un cadavre
ou avant d’effectuer un accouchement, et la diminution
drastique du nombre de décès causés par la fièvre
puerpérale des femmes post-partum. Mieux que ça, en
1924, Louis Destouches, avant d’être Louis-Ferdinand
Céline, avait pris ce médecin visionnaire, mais Juif,
comme sujet de sa thèse de médecine !
Vers la fin de l’émission Polac interroge Audiard : “
Cette admiration pour Céline, comment est-elle venue ” ? Et
Audiard de répondre que c’est un phénomène profondément
naturel. “ Quelqu’un qui n’aime pas
Céline, m’agace et ça clôt toute discussion. C’est
impossible, impensable de ne pas aimer Céline. Ceux qui
passent à côté de ça, ça m’échappe, c’est des
connards ! s’exclame-t-il. Et il ne faut pas
discuter avec des connards, ça sert rien, on perd son
temps “.
Me voilà donc être un connard en plus d’être un
microbe !
Et Audiard d’égrener longuement les affres de Céline
depuis la sortie du “ Voyage… ” jusqu’à “ Mort à Crédit
”, (l’abomination “ pornographe ” notamment), ensuite la
guerre et les accusations ( “ les plus folles “),
l’exode de Céline ( “ il a bien fait de se tirer,
parce qu’il se faisait flinguer raide comme balle
“), le retour de Céline et la sortie d’un livre qui a
essuyé un “ nouveau tir de barrage “). La
conclusion d’Audiard est sans appel : “ Quand on a
connu tout ça, on a l’impression de vivre dans un pays
de peignes-culs, tout de même ! ”
Voilà donc, plus de cinquante après, que je découvre de
la bouche de celui dont j’aimais les films, les
dialogues, les saillies drolatiques (pas seulement
celles des “ Tontons Flingueurs ” qu’on nous impose à la
télévision française une à deux fois par an, comme les
films de Sissi et ceux de Noël achetés au kilo), que je
suis un microbe à tendance connard, peigne-cul de
surcroit !
Mais j’assume… Désolé pour ceux qui aiment Michel, ou
qui comme moi aimaient l’artiste dans les années 70,
sans vraiment savoir à qui j’avais affaire. Désolé pour
ceux qui vouent une véritable passion à Louis-Ferdinand
(y compris le fou de littérature Emile Brami, tout juif
tunisien né à Souk el Arba qu’il est…)
Audiard ne fait plus partie de mon panthéon personnel,
Céline n’en a jamais fait partie. Et c’est très bien
comme ça !
(Gérard Kleczewski,
28 oct. 2022).
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